Le « comment je fais » supplante le « ce que je fais. »
François Malkovsky procédait par métaphores, s’appuyait sur des images et ne donnait pas de clefs pour accéder aux mouvements de base et aux danses.
Je me suis appuyée sur les quatre paramètres du mouvement, (Poids – Espace – Temps – Flux) énoncés par Laban, en cherchant leurs correspondances dans le langage malkovskien….
En découvrant le travail autour des fondamentaux Bartenieff, j’ai expérimenté un nouvel outil. Ces exercices sont pratiqués au sol. Ils permettent une conscience somatique des schèmes inscrits par la croissance, endormis par les années, mais susceptibles d’être réactivés. Or ces schèmes sont les mêmes que ceux sur lesquels Malkovsky, intuitivement, a élaboré ses mouvements de base.
Ainsi, après deux années de travail personnel auprès d’Angela Loureiro, diplômée de la technique aux USA, j’ai peu à peu établi des liens entre les fondamentaux et l’organisation du geste que je connaissais. Avec son aval, j’ai proposé aux danseurs amateurs, lors des stages, une entrée sensorielle au sol avant d’aborder la verticalité.
À l’issue du travail au sol, je proposais souvent une improvisation avec des voiles en dehors de tout schéma d’exercice connu afin de prolonger les sensations dans le dos.
Je vise l’entrée en mouvements par une plongée dans les sensations, prémisse à la danse.
Quel que soit le niveau des élèves, dans des temps d’improvisation, je favorise le goût du mouvement ample et le plaisir de se mouvoir avec des consignes ouvertes. Je les invite à explorer leur kinesphère selon un projet, une qualité, et non selon un modèle. Puis, j’introduis des prises de conscience de sensations : le poids sur les pieds, les degrés de fermeture et d’ouverture du buste, les allongements et replis dans le jeu des côtes, le glissement des omoplates, les torsions à différents niveaux de la colonne vertébrale, la réaction des bras par rapport au dos, le jeu avec la pesanteur … Sans oublier, ni le regard, ni la création de relations entre le centre et la périphérie, ni avec les autres et l’espace qui est traversé.
Pour entrer dans le paramètre du déséquilibre, je sollicite la perception du changement de poids sur les pieds avant tout déplacement. La vigilance à l’emboîtement des mouvements créés dans ce temps d’improvisation structurée, suppose que l’on soit connecté au poids, à la gravité, à l’espace avec toutes les parties du corps, afin que les mouvements soient logiques d’un point de vue biologique.
La perception du poids, la conscience de son transfert dans les pas, suppose une certaine détente révélatrice du degré d’aisance naturelle, personnelle.
Malkovsky a construit son vocabulaire sur des structures gestuelles très simples, brèves et répétitives.
Elles sont issues de formes représentatives de leurs noms et données en modèle. L’ imitation du geste pragmatique, et la recherche de ressemblance au modèle, rendent difficile la mise en œuvre de ces structures.
Apprendre les mouvements de base par imitation est gratifiant. Le plaisir est dans le mouvement et la sensation de bouger. Des sentiments agréables apparaissent et se développent dans la répétition, mais ce n’est pas de la danse.
Les paramètres, flux, espace, temps, poids, donnent la qualité à l’action motrice dans sa réalisation pour devenir mouvement dansé. Les métaphores et les images, sans analyse, restent des illustrations anecdotiques. L’apprentissage des formes est alors une accumulation superficielle, du fait l’absence de plasticité. Faire des enchaînements n’est pas danser.
Le « faire » mouvement mécanique sans âme, prévaut sur le « comment faire » sentez le mouvement.
Par contre, en insistant sur les nuances des paramètres de l’action motrice, la traversée des mouvements de base a pour but la perception des sensations pour un affinement du sens cinesthésique, base d’une danse éducative puis artistique.
Dans mes cours, après deux heures d’exploration, les stagiaires prennent conscience d’être entrés dans une autre manière de se sentir mouvoir.
Le « comment je fais » supplante le « ce que je fais. »
La recherche intime prime sur la copie et les habitudes. Au fil des improvisations, par la sensation des variations de son poids, et par l’expérimentation de courtes séquences gestuelles, l’attention pénètre le corps. Elle n’est pas sollicitée par des évasions émotionnelles. La perception des variations dans les jeux articulaires au fil des gestes, ouvre les portes à la subtilité des mouvements ainsi qu’à leurs nuances qualitatives, rythmiques et spatiales.
Chaque mouvement de base offre cette palette didactique. Ce qui importe n’est pas l’apprentissage des variations possibles dans un même schéma de mouvement, mais d’incorporer les variations d’une coordination. Devenir sensible aux variations, acquérir le goût d’un apprentissage de la variabilité, ne rien figer.
Ce sont les camaïeux qualitatifs qui feront la richesse de la simplicité du répertoire.
La présence à son intériorité sensorielle, que demandait Malkovsky en disant : sentez le mouvement, éloigne de la simple action motrice.
Les écueils de l’enseignement
Transmettant le style, la pensée et le répertoire de Malkovsky, j’ai relevé les écueils qui guettent l’apprentissage des mouvements de base.
- Une mauvaise compréhension de l’économie d’effort amène à des mouvements manquants de tonus et de rythme.-La transformation du mouvement quotidien en mouvement dansé suppose la conscience du mouvement, des lignes, et de la précision, non l’imitation d’une forme.
- De la même manière, l’expression : mouvement juste, est incomplète si l’on se contente d’une sensation de bien-être personnel. Il est nécessaire d’intégrer les composantes de la technique pour parvenir au mouvement juste.
- L’expression : mouvement naturel, utilisée par Malkovsky, peut, elle aussi amener à des interprétations erronées. Celle-ci induit une facilité, synonyme de ce qui est sans forme et sans discipline, ce qui est incompatible avec l’aristocratie du geste (démarche artistique) voulue par son fondateur.
- Il ne s’agit ni de mimer, ni d’imiter ou de faire comme si…, mais de capter l’essence dynamique de l’image, des actions, pour témoigner d’une œuvre avec son propre registre de sensations, ses modulations, ses couleurs, ses idées. Il faut créer, à partir de l’objet chorégraphique hérité, un état intérieur, pour atteindre une danse de soi et signifier du sens virtuellement.
Avant que le mouvement ne crée du sens, il faut apprendre à maîtriser son corps comme instrument plastique, disponible et transparent.
Extrait du livre Dans les pas de Malkovsky