Malkovsky : Danseur, chorégraphe, éducateur

L’enfance, les études et la guerre

François Malkovsky naquit le 22 septembre 1889 en Bohême dans une famille aisée. Son père, magistrat, l’initia à l’observation des animaux et de la végétation ; sa mère, musicienne, pratiquait le chant et avait une passion pour Schubert. Il était le dernier de quatre enfants. Il apprit le violon très jeune ; ses parents l’emmenaient aux concerts et à l’Opéra. Il eut une enfance heureuse et libre.

Orphelin de mère à treize ans et demi, de père à vingt ans, il fit des études d’ingénieur des Eaux et Forêts et suivit des cours de chant à Prague. Refusant de faire son service militaire dans l’armée autrichienne, qui occupait la Bohême, il vint à Paris dès 1910.

Il poursuivit des études de chant et de philosophie à Paris, tout en travaillant dans une banque pour assurer le quotidien. Il connaissait parfaitement l’œuvre de Wagner.

Pendant la guerre de 1914/1918, il s’enrôla dans la Légion Étrangère. Il fut blessé et réformé. « Nous étions de la chair à canons » disait-il plus tard.

A son retour, il fréquenta quelques temps l’Académie de Raymond Duncan. Il y étudia une « gymnastique intégrale », apprit le tissage et approfondit sa connaissance de l’art grec, rencontra Isadora Duncan. Quelles furent les influences réciproques ? Il ne l’évoquera jamais.

Malkovsky et la danse

Nous savons peu de la rencontre de François Malkovsky avec la danse, mais il y a une certitude : entre 1912 et 1925, il vit danser Isadora Duncan. Malkovsky, avec gratitude et admiration dira : « Elle m’a montré ce qu’il fallait chercher ».
A la mort d’Isadora, le 14 septembre 1927, Malkovsky écrit ce texte pour la revue « Vivre », en octobre 1927 :

Celle dont la danse n’était que Prière, Amour, Joie, ne dansera plus. L’implacable destin l’arracha à son extase. Gardant pieusement dans le cœur de nos cœurs les visions divines écloses de nos communions avec Elle. Sa vie douloureuse prit fin. Nous sommes venus avec la foule, humbles, silencieux…Aux accents de la musique de Beethoven, Bach, Chopin, Haendel… les flammes transformaient son corps en un léger nuage blanc, qui s’envola à l’infini ».

François Malkovsky, en octobre 1927

Malkovsky fut associé un certain temps à Marie Kummer, comme en témoigne le carton réalisé par Jan et Joël Martel et cet extrait publié par Fernand Divoire dans « Pour la Danse » :« Genevoise, élève de Jacques Dalcroze et rythmicienne convaincue qui, devant l’évidence des erreurs de la rythmique, a dû douloureusement chercher sa voie vers une autre vérité. C’était la valeur naturelle du rythme musical qui était en jeu ; elle cherchait une technique corporelle vraie, elle la trouva en partie chez Malkovsky ».

Participant à la vie artistique de Paris, sans doute a t-il vu les Ballets Russes de Diaghilev, vu danser Nijinski, Fokine, Massine, Serge Lifar, les Ballets Suédois avec Jean Börlin. Malkovsky a connu les Sakharoff.

A-t-il vu « Jeux » de Nijinsky en 1913, où une raquette de tennis est intégrée à la chorégraphie ? A-t-il vu jouer Suzanne Lenglen, championne de tennis à Wimbledon en 1919 Il parlait de l’aisance de son mouvement. Il pratiquait lui-même ce sport. Le « tennis » est devenu une figure du vocabulaire de la « danse libre ».

A-t-il vu « Le Prélude à l’aprés-midi d’un faune » donné en 1912 au Théâtre du Châtelet ?

Nijinsky rompait alors délibérément avec la danse classique en imposant un art du geste emprunté aux poses observées sur les vases grecs. Une recherche similaire se perçoit dans les attitudes de la chorégraphie du« Petit berger » de Debussy et dans les études de postures pour le monument Debussy.

Malkovsky parlait du ballet « Icare » où Serge Lifar marche en faisant l’oiseau avec un accessoire d’aile pour s’élever. « L’oiseau » est aussi un mouvement de base de son vocabulaire. 

Conception de la danse libre de Malkovsky

François Malkovsky admirait Rodin, nous incitait à méditer devant ses sculptures ; mais c’est avec les frères Jan et Joël Martel, sculpteurs, qu’il eut une relation artistique privilégiée de 1921 à 1930. Jan Martel vint au studio en 1963 pour y faire son ultime croquis.

De la collaboration avec les frères Martel, il subsiste des photos, des dessins faits en 1922, pour le monument à la mémoire de Debussy, inauguré le 17 juin 1932 boulevard Lannes à Paris, quelques sculptures, des plaquettes et des programmes, une mise au point pour l’éclairage d’un spectacle (celui de mars 1923), des listes d’invités, des cartons d’invitation. Malkovsky rencontre Vincente do Régo Monteiro qui fera plusieurs dessins de son mouvement.

Malkovsky vivait avec les Martel, à Saint-Jean-de-Monts. Il y rencontrait de nombreux artistes, participait à des soirées costumées, partageait avec eux des temps de naturisme en forêt et sur les plages. Dans leur villa-atelier au 10 rue Mallet-Stevens à Paris il présentait ses danses et ses études sur le mouvement humain. De 1952 à 1956, un dessinateur anglais, James Hodges vint fréquenter le studio. Il a su saisir sur le vif la synthèse du mouvement et des lignes suggestives. Ce corpus de dessins est un précieux document qui montre des images d’une danse dynamique, riche et créative. A travers ces dessins on réalise la diversité du travail corporel d’avant 1958.

François Malkovsky, pendant cette période a affirmé sa conception d’une nouvelle danse, créé ses chorégraphies, écrit ses textes et donné ses récitals. Bruno Foucart écrit à propos de leur collaboration :

Malkovsky, le danseur au corps puissant et au crâne dégarni, dont les recherches s’apparentent à celles de Jacques Dalcroze ou de Raymond Duncan, est pour les Martel, l’ange, le faune inspirateur. C’est en le photographiant, en le dessinant que les Martel ont éprouvé et mené à bien leur grand désir d’une sculpture qui soit vivante, rythmique, harmonique.

Bruno Foucart

La recherche artistique de Malkovsky s’inscrivait dans la mouvance de l’Ecole de Paris. François Malkovsky n’a jamais parlé de façon explicite de ses travaux sur le mouvement, de ses spectacles, de ses rencontres, de sa prise de position en faveur du naturisme.

La carrière du danseur Malkovsky a commencé vers 1920 à Paris, a connu un grand essor jusque vers 1936. A cette époque de grandes réceptions étaient données dans les salons des hôtels les plus réputés de la capitale. Au cours de ces galas il y avait une partie artistique suivie d’un bal. Malkovsky y était souvent convié pour présenter ses élèves. Lui-même ne dansait pas, il ne se produisait qu’en récital.

La guerre mit fin à son activité scénique parisienne. Pendant la guerre 1939/1945, il fit des séjours en Afrique et à Alger, où une de ses élèves, Ludmila Ldinova avait une école de danse.

Malkovsky donne un dernier récital à Paris en juin 1948 ; il a 59 ans.

L’enseignement de sa danse libre

François Malkovsky, à partir de 1950 s’oriente totalement vers l’enseignement de son art qu’il nomme Art de vivre. Il donne des cours et des stages dans son studio à Paris 17e, au 41 boulevard Berthier ainsi qu’en province. Pendant une dizaine d’années Malkovsky fera des interventions pour les professeurs d’éducation physique à l’Ecole Normale Supérieure d’Education Physique de Châtenay-Malabry. Il préférait parler d’un « Art de vivre » plutôt que d’un « Art du mouvement ».

Cependant, tout en enseignant une maîtrise corporelle dite naturelle, une danse pour tous, il voulait une danse artistique, capable de donner un nouvel élan à la vie de chacun. Les élèves étaient enthousiastes, mais ce n’était ni des danseurs, ni des artistes ; les stagiaires venaient chercher un autre regard sur leurs pratiques corporelles. La réponse à cette attente n’était pas donnée. Malkovsky ébranlait les bonnes habitudes, et pour ceux et celles qui le voulaient bien, il les conviait dans un lent processus de reconstruction de leur relation à leur propre « être au monde ».

Malkovsky quitte Paris en 1970 pour se retirer dans le Var, il enseigne jusqu’en 1981.
Il décède le 9 janvier 1982.

Malkovsky n’a pas laissé d’école, n’a pas rédigé sa conception du mouvement humain en termes clairs. Les textes des conférences écrits entre 1917 et 1937 sont un vibrant appel pour une danse révélatrice de l’être et une danse source de régénération.

À la relecture de ses textes, « actes de foi », on peut saisir l’esprit d’indépendance, de liberté, voire de révolte de ce pionnier marginal à la recherche d’une nouvelle danse. Ces textes, malgré leur ambiguïté, révèlent une intuition de la poétique du mouvement dansé, poétique transmise dans un langage imagé, métaphorique et philosophique.

Texte extrait de « Philosophie du geste » de Suzanne Bodak (2007)

Le DVD « MALKOVSKY par lui-même » fait revivre Malkovsky enseignant, dansant dans son studio à Paris, entre 1965 et 1970.