Introduction au Poème « Pour danser » de François Malkovsky
Ce texte a fait l’objet d’une parution en 1926 dans la revue Vivre sous le titre « Pour l’harmonie des mouvements ». Je l’ai intitulé poème, car il condense toute l’approche de la danse libre de Malkovsky.
Il m’ a été donné sous forme de tapuscrit, sans doute photocopié par une très ancienne élève, qui avait séjourné sur l’île du Levant avec Malkovsky.
Les mots du fragment Pour danser révèlent un point de vue d’épicurien, parlant avec une étrange solennité. J’ai choisi d’isoler ce texte et de le mettre en valeur.
Les couleurs, les sons, les odeurs, les espaces, les mouvements évoqués renvoient à un mode de vie idyllique, difficilement accessible de nos jours. Le poème est une vive invitation à éprouver pleinement ses ressentis. La lecture distille les émotions liées aux sensations.
Ces moments de vie ont certainement nourri sa recherche.
Les formes créées par le souffle des multiples expériences seront sa danse, celle qu’il nous a transmise.
Ce texte permet de comprendre pourquoi François Malkovsky invitait ses élèves sur l’île du Levant puis en Corse. Vivre en communion avec la nature fait partie de sa conception pour une formation à sa danse.
À la suite du poème il écrit :
Ce vaste souffle de l’Univers vaut la peine d’être transmis par la Danse, qui doit être une vision de beauté, un bain où l’âme se purifie des banalités, vulgarités, laideurs absorbées.
François Malkovsky
Cependant, ne donnons pas à ces paroles d’une époque un pouvoir de guide dans la vie. L’histoire nous a appris où peut mener l’excès de pureté.
Extrait du livre « Dans les pas de Malkovsky » de Suzanne Bodak (2017)
Pour danser
Il faut avoir entendu le cri de joie pure des hommes et des oiseaux,
et les chants et le vol des oiseaux, leur vol, le matin et le soir,
au printemps et à l’automne.
Il faut avoir entendu le cri de joie de l’aigle, ivre de liberté,
qui s’apprête à plonger dans l’abîme ;
son vol est l’expression même de l’infini.
Il faut avoir respiré de l’air après l’orage, sur les hautes montagnes.
Il faut avoir vu s’ouvrir les fleurs, le matin.
Il faut avoir regardé les yeux rieurs de la rosée sur la mousse,
sentir et goûter sa fraîcheur.
Il faut avoir intercepté le mouvement de la flamme, de la lumière, des vents,
des grandes forêts du Nord, immenses et sombres comme des cathédrales,
des palmiers dans le Sud, au clair de lune,
le désert au clair de lune.
Il faut avoir écouté le silence des steppes sous la neige,
des steppes sans fin, la nuit, car c’est souvent la nuit que
leur silence élève sa voix subtile et pénétrante.
Il faut avoir suivi le mouvement lent au fond des fontaines profondes,
le mouvement des torrents et des rivières
qui coulent vers la mer au printemps et à l’automne.
Il faut avoir vu le mouvement doux, confident des vagues,
caressant les pierres vertes, le soir, dans les baies.
Il faut avoir vu les vagues de la marée montante, longues, très longues,
s’avancer, calmes, fascinantes et implacables,
pour engloutir tout, nettoyer, balayer le rivage,
puis se retirer, par le même mouvement de long balancier.
Il faut avoir vu pousser les arbres, senti circuler la sève par les racines,
par le tronc, les branches
jusqu’aux feuilles dont l’humide haleine s’évapore,
devient nuage, pluie, rivière, la mer.
Il faut avoir vu les vagues se jeter impérieusement contre les rochers, s’y briser,
se renverser sur elles-mêmes en écumant,
en fumant de colère de la poussière d’eau,
se retirer, s’assagir pour former dans le court et inquiétant répit,
une nouvelle masse d’eau, qui recommence son crescendo,
jusqu’au bruit infernal d’une nouvelle décharge.
Il faut avoir vu le mouvement perpétuel des arbres,
même quand il n’y a pas de vent,
car les arbres vivants ont toujours leur mouvement,
comme les plus profonds silences ont toujours leur musique.
Il faut avoir vu pousser les arbres, senti circuler la sève par les racines,
par le tronc, les branches jusqu’aux feuilles
dont l’humide haleine s’évapore,
devient nuage, pluie, rivière, la mer.
Il faut avoir chevauché dans les brumes,
avoir senti le rythme du galop du cheval se confondre
en ses mouvements à soi.
Il faut avoir erré par mille chemins et sentiers,
dans les pays du Nord et du Sud,
dans les montagnes et dans les plaines,
dans le désert et dans les champs.
Il faut avoir senti la joie saine de vivre et bouillonner sa sève,
alors que tout en nous chante la chanson de la Danse.
Il faut avoir surtout suivi son chemin.
Ce vaste souffle de l’Univers vaut la peine d’être transmis par la Danse,
qui doit être une vision de beauté,
un bain où l’âme se purifie
des banalités, des vulgarités, des laideurs absorbées.
En 1926 Malkovsky